Salon de Monaco
Les éditions au pluriel
Chargée de presse : Marika Daures
Pour rappel le livre en lice est pour le Prix Goncourt du 1er roman !
Extrait du livre La maman de Casa
Casablanca, mars 1956
Adolphe Di Méglio leva les yeux vers le plafond pour la dixième fois et soupira :
─ Mais qu’est-ce qu’ils ont ce matin ?
Les gosses du dessus braillaient depuis huit heures du matin par intermittence mais bizarrement on ne percevait aucun autre bruit ni aucun mouvement à l’étage.
On était dimanche et le soleil du matin commençait à forcer le passage à travers les persiennes. Il était presque dix heures. L’avenue du colonel Fargeau s’animait. Adolphe épluchait La Vigie Marocaine et Lucette les légumes en attendant respectivement : lui l’heure de l’anisette à la terrasse du café de Paris et elle l’ébullition du bouillon contenant le collier d’agneau pour le ragoût de midi.
Les nouvelles devenaient préoccupantes. Depuis la déclaration d’indépendance les différents mouvements se livraient une guerre acharnée. Il était primordial pour Adolphe de s’informer un minimum avant l’apéro du dimanche afin de pouvoir émettre un avis péremptoire sur les problèmes politiques auxquels il ne comprenait pas grand-chose.
Il était plongé dans la lecture de l’éditorial de Georges Dumantel établissant la responsabilité de Ben Barka dans l’assassinat d’Abbas Messaadi quelques jours plus tôt lorsque les braillements reprirent à l’étage du dessus.
─ La purée ! Mais elle peut pas les calmer ses gosses, la mère Belhomme !
Il suivait régulièrement l’évolution de la situation en Algérie. Et, au fil des semaines, il marquait sa solidarité avec les Pieds-noirs par le seul moyen dont il pensait pouvoir disposer : son accent qui épaississait parallèlement à la situation politique algérienne. Il en rajouta encore une couche :
─ Lucette ! monte là-haut voir ce qui se passe, va !
Il reprit sa lecture pendant que sa femme se dirigeait vers la porte en s’essuyant les mains sur le tablier. Il n’avait pas saisi toutes les finesses de l’argumentation de Dumantel mais sa conviction était établie : l’ALN avait bien fait assassiner Messaadi. Il pourrait descendre à l’apéro l’esprit tranquille.
L’odeur du ragoût se répandait maintenant dans l’appartement, la chaleur était montée d’un cran et Adolphe sentait les premières gouttes perler sous ses aisselles. Il avait toujours été corpulent et particulièrement exposé aux effets de la chaleur, surtout sous les aisselles. Il attrapa la bouteille de Gris de Boulaouane dans la glacière et se versa un verre savamment dosé pour lutter contre la transpiration.
Trois gorgées plus tard Lucette se tenait immobile à l’entrée du salon. Il l’interrogea d’un coup de menton précis et signifiant.
─ C’est bizarre, dit-elle en se tortillant les mains, on entend les gamins pleurnicher mais personne ne répond. Elle a dû sortir faire une course.
─ Depuis huit heures ce matin ? et un dimanche ? et pour acheter quoi ?
Lucette tenta une explication charitable :
─ Elle est peut-être allée à la messe ?
─ Elle ! Le jour où elle ira à la messe ce sera pour agiter un drôle de goupillon tu peux me croire !
Et il partit d’un éclat de rire gras et généreux qui eut immédiatement pour effet d’augmenter de plusieurs centimètres le diamètre des auréoles garnissant ses dessous de bras.